« Et à zéro, tu dis ’yataaaaaaah’ ! ». « Hein ? Quoi ? Mais pourquoi ? ». « Parce que c’est cool !!! Allez, commence à compter, moi, je vais me cacher ! ». Et sur les instructions de ma sœur jumelle, je me retournais, posais une main sur le mur face à moi et commençais à compter. « Cent-cinquante huit, cent-cinquante sept, cent-cinquante six… ». Jil a toujours été la plus maligne de nous deux et lorsque nous étions enfants, elle ne se gênait pas pour me faire tourner en bourrique, comme par exemple, entamer une partie de cache-cache en me faisant compter à partir de deux-cent ! Non mais sérieusement, je sais pas si vous vous rendez compte, mais deux-cent, c’est énorme !!! Et puis de toute façon, je perdais souvent rapidement le fil, alors ma vengeance était quand même bien présente. Non voulue, mais présente. « Trente-six, vingt-huit, douze… un, ZEROOOOOOOO !!! ». J’ouvrais les yeux, me décollais du mur et tournais les talons. « T’AS PAS DIT YATAAAAAAH ! », entendais-je au loin, ce qui me fis pouffer de rire. A coup sûr, si Jil avait été à côté de moi, elle m’aurait tiré ma queue de cheval, mais heureusement pour mes cheveux, à cet instant, elle préférait gueuler et rester dans sa cachette… Je me mis alors à sa recherche, traversant les nombreuses pièces de l’énorme manoir dans lequel nous habitions. Papa et maman étaient peintres. Ils passaient leurs journées à colorer des toiles blanches et à fumer des joints. Et grâce à cela, nous étions riches, du moins, bien assez riches pour vivre dans une énorme bâtisse… Ce qui était franchement très cool quand nous étions gosses, puisque notre maison au style écolo-gotique constituait un énorme terrain de jeu et nos parents étaient bien trop perchés pour nous réprimander. Et puis, ils n’en avaient que faire de nos biens matériaux. On pouvait briser un vase, renverser une chaise, ils s’en fichaient éperdument. Tant que nous étions heureuses et en bonne santé, c’est tout ce qui leur importait. Au final, même si mes parents étaient bizarres, même si les autres mamans à la sortie de l’école me regardaient bizarrement et même si j’entendais souvent des moqueries au sujet de mon étrange famille de hippies, cela n’avait aucune importance, pour la simple et bonne raison que nous étions libres. Libres d’être heureux et de ne s’imposer aucune limite. Notre manoir était un cocon de bonheur et de joie et pour rien au monde je n’aurais échangé de famille.
Je montais alors les énormes escaliers en marbre, à la recherche de ma jumelle, mais toujours rien… Elle ne devait pas être bien loin et rapidement, j’aperçus deux petits pieds au coin d’un couloir, derrière les épais rideaux en fibre de je-ne-sais-quelle plante. Je m’approchais alors doucement, pinçant mes lèvres pour ne pas éclater de rire et faire connaitre ma présence à mon double… et me jetais précipitamment sur l’énorme rideau, usant du peu de force que j’avais en mes muscles pour le pousser et laisser apparaître Jill, plus étonnée que jamais. « JE T’AI TROUVE !!! T’AS PERDU !!!! ». Et j’éclatais de rire en partant en courant, dévalant les nombreux couloirs à une allure incroyable, Jill sur mes talons. « JILL ELLE A PERDUEUH JILL ELLE A PERDUEUH !!! », chantonnais-je alors que je percevais les grognements de mécontentement de ma jumelle, non loin derrière moi. Et pourtant, je savais que dans deux minutes, elle cesserait de bouder. Je me stoppais alors brusquement et me retourner, afin de trouver Jill, à quelques mètres derrière moi, les bras croisés sur sa poitrine, la mine boudeuse. Je m’élançais alors auprès d’elle et posais une main sur son épaule droite… main qu’elle s’empressa de rejeter. « Mais boude pas Jill… ». Son regard dur se fixa alors dans le mien et je perdis immédiatement mon sourire. « T’es qu’une tricheuse d’abord ! T’as pas dit ’yataaah’ !! ». Je levais les yeux au ciel et finissais par souffler. « Bon… d’accord, mais boude pas, s’il te plaît … ». Je lui lançais alors mon petit regard de chien battu, auquel elle ne put résister et immédiatement son visage angélique s’éclaira d’un petit sourire qui me fit sourire à mon tours. Elle me prit dans ses bras et attrapa rapidement ma main. « Allez viens, on va voir papa et maman ! ».
C’est ainsi que c’est passé mon enfance : dans la joie et la bonne humeur. A l’époque, on se sentait si libre qu’on avait l’impression que le monde était à nos pieds, que tout était possible. Et c’était très certainement le cas…

« Pss… ». Allongée sur ma table de cours, mes yeux se faisaient de plus en plus lourds… « PSSS !! ». Je fronçais les sourcils, mais n’ouvrais pas les yeux pour autant… du moins, jusqu’au moment où je sentis un poing s’abattre sur mon épaule et que je me relevais brutalement, la douleur m’ayant rapidement refait prendre pied avec la réalité. « AÎLLE !!! ». « Un problème, mademoiselle Everdeen ? ». « Hills, c’est HILLS-Everdeen ! ». « Mademoiselle Costa, je ne crois pas m’être adressé à vous ! ». Je lançais alors un regard à Ivy, qui venait de prendre, plus ou moins ma défense, et qui, en même temps, m’avait démonté l’épaule quelques secondes plus tôt, un petit sourire au coin des lèvres, alors que notre professeur de d’histoire-géographie, reprenait son cours. « Mais quel con celui-là, j’te jure ! ». « Moi, je l’aime bien ! ». « T’aimes tout le monde en même temps ! Welcome chez les bisounours ! Merci, au revoir ! ». Ivy était… la fille la plus folle que je connaissais… et elle était ma meilleure amie depuis de très longues années. En fait, elle était la seule à ne pas vraiment me juger… ou à ne pas juger mon étrange famille. Il fallait dire qu’elle-même n’était pas bien claire non plus et à vrai dire, j’adorais ça. « J’ai faim… t’as pas un gâteau ? ». « Non désolée… ». « Putain… ». Son ventre se mit alors à grogner et je me mis à rire discrètement alors que Ivy perdait patience. « comment il s’appelle le mec devant ? ». J’observais le jeune homme assis sur le siège devant nous et… haussais les épaules. « Il a une tête à s’appeler… Bertrand ! ». « Quoi ?!? N’importe quoi !!! C’est un prénom de pépé ! ». « Mon pépé, il s’appelle John… ». Ivy me regardait du genre ‘rien à voir’, et finit par hausser les épaules… de toute façon, j’étais ce genre de fille à sortir constamment des trucs qui n’avaient rien à voir avec le fil de la conversation et avec les années, elle en avait plus ou moins pris l’habitude, du coup, elle ne releva pas. « Eh pss toi, le mec devant ! ». Le garçon ne se retourna pas tout de suite, du coup, Ivy tapa un gros coup dans sa chaise. Cette fille était d’une violence incroyable. Mais au moins, tout le monde la respectait. Le jeune homme finit par se retourner discrètement, afin de ne pas se faire prendre par le professeur. « Quoi ? ». « T’as pas un gâteau ? ». « Non. ». « putain tu sers à rien ! ». « Non mais./ ». « Ta gueule ! ». Et Bim. Je tapotais alors sur l’épaule de ce pauvre garçon, surement vexé par les paroles crues de ma meilleure amie. « T’inquiète pas Bertrand, c’est pas contre toi, quand elle a faim, elle est pas gentille ! ». « Mais tais-toi, j’m’appelle pas Bertrand !!! ». Ah… Ivy se tourna alors vers la droite, dérangeant sa voisine… qui prenait des notes depuis le début du cours. « T’as pas un gâteau ? ». « Si, pourquoi ? ». « Tu m’le file ? ». « Non, c’est ma maman qui me l’a fait ! ». « T’as quel âge putain ? Allez fais pas ta radine ! ». « Non, c’est le mien, t’as cas allez au distributeur t’acheter un twix ! ». « J’veux pas un twix j’veux ton gâteau ! ». « Non !!! ». « Si !!! ». « Non !!! ». « MADEMOISELLE COSTA DÎTES LE MOI SI MON COURS VOUS DERANGE !!! ». « Okay, votre cours me dérange ! ». « DEHORS !!! VOUS ALLEZ FAIRE UN PTIT TOUR CHEZ LE PRINCIPAL !!! Ça fait longtemps tiens ! ». Ivy soupira et attrapa rapidement ses affaires qu’elle glissa dans son sac. « On se rejoint à midi à la cantine, okay ? ». Je hochais rapidement la tête en guise de réponse et Ivy quittait la salle d’histoire… du coup, je n’avais plus qu’à retourner dans les bras de Morphée…

« CHOUETTE DES BROCOLIS !!! ». « T’es vraiment la SEULE fille sur terre à aimer les brocolis, j’te jure ! ». « Ben quoi ? C’est bon !!! ». « C’est vert, c’est moche et ça pue ! ». Ivy et moi venions de récupérer nos plateaux et rapidement on se posa sur notre table, au milieu du réfectoire. NOTRE table oui. Parce que Ivy avait gravé nos prénoms dans le bois, il y avait de cela quelques mois, ce qui était plutôt cool en fait ! On commença alors à déguster nos fabuleux brocolis et le sujet vînt rapidement à… « Tu viens à la fête de Jules ce soir ? ». « Jules ? C’est qui ? ». « C’est le mec de dernière année là… tu sais le quater back…. ». « Celui avec les grandes dents ? ». « Ouais lui ! Bref, il fait une fête chez lui ce soir et on est invitées ! ». Je fronçais légèrement les sourcils. J’aimais bien faire la fête, mais je ne connaissais pas trop ce mec et… « T’façon t’as pas le choix, tu viens ! ». Bon, au moins, la question était réglée !
Quelques heures plus tard, nous étions toutes les deux chez Ivy, à enfiler nos tenues pour la fameuse fête. J’avais opté pour un t-shirt plutôt échancré au niveau de la poitrine, un jean noir et des chaussures à talons hauts, tandis que Ivy portait une robe plutôt courte qui lui allait vraiment très bien. On attrapait alors nos sacs et nous dirigions vers chez Jules. Lorsque nous arrivâmes, la fête bâtait déjà son plein et on savait toutes les deux que ce soir là, on allait vraiment s’amuser. Je me souviens encore avoir balancé mon sac dans un coin, avoir bu quelques shots de vodkas avec Ivy… je me souviens avoir dansé avec différents gars de mon lycée et… après, je me souviens avoir vomi dans la rue… alors que le froid de ce début de novembre me paralysait un peu plus. Je m’essuyais alors la bouche et me relevais, aidée par de mystérieux bras étrangement musclés. « ça va aller ? T’inquiète pas, on est bientôt chez toi ! ». Je relevais les yeux et… c’est à cet instant que je rencontra pour la toute première fois Ioannis… enfin, apparemment, je l’avais déjà rencontré quelques minutes plus tôt, mais je ne parvenais pas à m’en souvenir. A cet instant, j’ignorais que ce garçon allait devenir l’élément essentiel de mon existence, j’ignorais qu’il allait changer ma vie. Je me souviens encore avoir pensé, à cet instant, qu’il avait les plus beaux yeux que la terre avait créé. Un mélange de vert, de bleu, de gris… vraiment, c’était sublime - et la drogue que j’avais ingurgité quelques heures plus tôt n’aidait pas vraiment -. Le beau frisé m’attrapa alors le bras et m’aida à marcher, alors que le monde tournait autours de moi. « aaaaaah, j’vais mouriiiiiiiiiiiiir ! ». Et sans savoir pourquoi, j’éclatais de rire, les bras de mon chevalier servant, se resserrant autours de ma taille. « Non, je suis là, t’inquiète pas, il ne t’arrivera rien ! ». Je me stoppais brusquement de rire, me laissant encore plus aller au sein des bras musclés de mon protecteur du soir. « J’veux rentrer chez moi… »… Et tout ce don je me souviens, c’est le sourire rassurant de Ioannis…

« QUOIIIII ?!? ». Feur hahaha, trop d’humour en ma personne. Bref, Ivy venait de gueuler et la moitié des personnes présentes dans le couloir où nous nous étions posées s’était retournées. Quand Ivy haussait la voix, il fallait généralement fuir et ça, quiconque fréquentant le même lycée que nous le savait. Je lançais alors des regards paniqués autours de moi, avant de me pencher vers ma meilleure amie, la mine affolée. « Mais cri pas !! ». « Ouesh ouesh les moches ! ». Il manquait plus que ça, tiens ! Jil qui se pointe et en rajoute une couche ! Je connaissais assez bien ma sœur et ma meilleure amie, pour savoir qu’elles n’hésiteraient pas à se foutre de ma tronche, mais je ne pouvais garder quelque chose d’aussi gros pour moi. « Jil, tu savais que ta très chère sœur, s’était faite ramenée de chez Jules, par le beau Ioannis et qu’il est resté TOUTE la nuit à son chevet ? ». La mine de Jil se fit étonnée et à la fois… outrée que je ne lui ai rien dit… De toute manière, ça s’était déroulé la veille au soir et je n’avais pas eu le temps de parler tranquillement à Jil, donc j’avais des circonstances atténuantes. « QUOI ?!? », feur hahaha double super blague ! Okay, je m’en vais. « T’as baisé avec lui ? »… Tout de suite ! Je levais alors les yeux au ciel et m’adossais à mon casier, lasse de cette histoire. « Mais non ! Il m’a juste ramené et je lui ai vomi sur ses chaussures. ». « Charmant ! ». Ouais, bon, niveau sex-appeal on repassera, mais à l’époque, j’étais certaine que Ioannis me voyait juste comme une pauvre fille qui ne tenait pas l’alcool. « De toute façon, il doit s’en taper complet, depuis le temps qu’il attend une occasion pour venir t’accoster ! ». Jil et Ivy se lancèrent alors un regard bourré de sous-entendus et… moi je ne comprenais pas vraiment. Du coup, je me relevais légèrement, interloquée par la réaction de mes amies. « Quoi ? Pourquoi tu dis ça ? ». Elles se lancèrent alors une fois de plus ce regard que je détestais tant et je commençais peu à peu à perdre patience, alors que Jil et Ivy faisaient durer un peu plus ce suspens intenable. « Me dis pas que t’as jamais remarqué qu’il passait son temps à te mater ce mec ? ». Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? « Euh… ». Pas le temps d’ajouter autre chose que Ivy me coupait la parole. « Laisse tomber J, ta sœur est une putain d’handicapée ! Elle a jamais capté ce mec et avant hier soir, elle ne savait même pas qu’il existait ! ». Je croisais les bras sur ma poitrine, boudeuse. « Non, c’est pas vrai !!! L’année dernière, il avait cours de maths avec Mrs Jefferson, dans la même salle que nous ! Tu vois, je sais très bien qui c’est ! ». Ivy se mit alors à pouffer de rire, avant de littéralement me ridiculiser. « Non, ça c’était Phoebus, son frère jumeau !!! »… ah… j’me sentais bien conne sur le coup, je dois vous l’avouer… et Jil et Ivy ne se gênaient pas pour se foutre ouvertement de moi. La vie est injuste, les amis, très injuste !!! « Mais ils se ressemblent pas du tout !!! ». Une fois de plus, elles se mirent à rire et moi, j’me retrouvais comme une conne en face d’elles. « Mais c’est vrai !!!! Phoebus il est plus grand et moins musclé !!! Et Ioannis il a de beaux yeux d’une couleur assez bizarre. Genre, on sait pas vraiment si c’est vert, bleu ou gris… et puis il a un beau sourire et ses fossettes… olalala ses fossettes, mon Dieu…. »… Ouais bon okay, j’étais niaise et ridicule, un problème avec ça ? « OMG J. T’ES COMPLETEMENT AMOUREUSE !!!! ». « Quoi ? Non ! N’importe quoi ! On s’est vus genre… deux minutes t’sais !!! ». « J. ELLE EST AMOUREUSEUH ELLE EST AMOUREUSEUH !!! ». « NON C’EST FAUX !!! ». « SI C’EST VRAI NE CONTREDIS PAS TA MAITRESSE ABSOLUE !!!! ». « CHUT IL EST LA IL EST LAAAAA ! ». En effet, Ioannis venait de tourner au bout du couloir et immédiatement, je pris une espèce de pause plutôt ridicule, qui se voulait décontractée… mais je savais qu’avec Ivy et Jil dans les parages, j’allais me taper la honte internationale. « Cassez-vous bande de truies ! ». « EH IOANNIS CA VA ? ». Oh. Pu.tain. J’eu la soudaine envie de sauter par la fenêtre… mais on n’était qu’au premier étage, donc je ne risquais pas vraiment de me faire bien mal… une entorse du poigné dans le pire des cas, et encore ! Mais faut pas croire, ça fait mal une entorse, si, si je vous jure ! Et alors que mon esprit me torturait horriblement, je ne m’aperçus pas que Ioannis était désormais face à moi et que ma sœur et ma meilleure amie avaient décampé en vitesse. « Salut Joy, ça va mieux depuis ce matin ? »…. SOIS CALME SOIS CALME SOIS CALME SOIS CALME… « euh… ouais héhé et toi ? Ça va mieux euh… tes… chaussures ? »… OH NON !!! Parler de mon vomi n’était très certainement pas la meilleure chose à faire… et pourtant, Ioannis se mit à sourire et… mon cœur loupa un battement… « Oui, oui, c’était rien, t’en fais pas… le principal, c’est que tu ailles bien… ». Jesuisunmectropmignonbonjouuuuuur ! OMG, mais je savais que j’étais en train de tomber sérieusement amoureuse de lui… sans vraiment le connaitre… et en ayant vomi sur ses chaussures, mais j’ai toujours été ce genre de fille à tomber amoureuse en un clin d’œil… et avec Ioannis, j’étais en pleine chute libre. « dis, euh… », commençais-je, pas vraiment sûre de moi, alors que j’apercevais Jil et Ivy, cachée derrière une plante, à quelques mètres de nous. « Ca te dirait de baiserEUHMANGER avec nous ce midi ? ». C’était la honte. La grosse honte. Et pourtant, le visage de Ioannis se teinta d’un petit sourire en coin, qui me fit encore plus fondre sur place et ouvrit la bouche. « Oui, bien sûr, avec plaisir ! ». Et c’est là, à cet instant précis que notre relation commença, vraiment. Suite à cet échange, on tourna chacun de notre côté, nous rendant à nos salles de cours respectives. Mais ces quelques mots échangés avaient au un réel un impact et quelques semaines plus tard, Ioannis me proposa un rendez-vous… et ce soir là, on s’embrassa sous les étoiles. Tout était parfait. Vraiment parfait…

La musique était la seule petite chose qui nous maintenait au-dessus d’un silence qui aurait été bien plus que gênant. Il faisait nuit noire et pour cause, il devait être aux alentours de vingt-trois heures. L’air était glacial pour ce début de décembre, tout comme mon cœur à cet instant précis. Mon regard était fixé sur le paysage qui défilait sous mes yeux. Je le connaissais par cœur, à force, mais à cet instant, cela me semblait bien plus intéressant que la personne qui se trouvait à côté de moi dans le véhicule. Pourtant, je savais qu’un seul petit coup d’œil en direction du chauffeur capterait mon entière attention en une petite seconde. Après plus d’un an de relation, Ioannis avait encore cet incroyable pouvoir sur moi. Le matin, je pouvais passé des heures et des heures à le regarder, endormi contre moi. Il avait de si beaux traits que j’étais certaine que je ne m’en lasserais jamais. Cependant, ce soir là, je ne voulais pas me laisser prendre à ce jeu là. Non, j’étais en colère. Contre lui, contre moi et contre le monde entier. Depuis que nous étions montés dans le véhicule, quelques longues minutes plus tôt, Ioannis et moi n’avions pas décroché un mot. Je savais qu’il désirait en parler, mais j’avais immédiatement mis l’auto-radio en route, afin de couper court à toute éventuelle discussion. C’était puéril, j’agissais comme une vraie gamine, mais du haut de mes seize petits printemps, bientôt dix-sept, j’avais envie d’agir de la sorte, pour une fois. J’étais terriblement attristée par ce qu’il s’était passé un peu plus tôt dans la soirée, que la colère et l’enfantillage semblaient être les meilleurs remèdes pour ne pas fondre en larmes d’une minute à l’autre. Pourtant, brusquement, Ioannis s’engagea sur le bas côté de la route et freina énergiquement, stoppant le véhicule au milieu de nulle part. Il tourna la clef et les feux s’éteignirent. Je me tendis immédiatement, surprise par son geste et tourna la tête afin de regarder avec dédain le garçon à côté de moi. « J’peux savoir c’que tu fa/ ». Je n’eus même pas le temps de continuer que Ioannis me coupait la parole. « Arrête de faire la gueule ! ». Il était visiblement en colère. Encore plus que moi, mais je savais que la dispute serait inévitable. « J’fais pas la gueule ! », avouais-je, les bras croisés sur ma poitrine, le regard hautain. J’étais d’une mauvaise foi inégalable, mais je n’étais pas franchement prête à lâcher le morceau. Ma réponse eut pour effet d’énerver encore plus Ioannis. Lui qui était d’une nature relativement calme laissait voir une autre facette de sa personnalité. Quelqu’un de plus sauvage et, il me semblait, assez imprévisible. Pourtant, je n’avais pas peur. Malgré les muscles tendus de mon petit ami, malgré sa mâchoire plus que serrée, il y avait quelque chose d’assez attirant chez lui à cet instant… Même si je refusais d’y penser, ne serait-ce qu’une seule seconde. J’étais triste, en colère et je faisais la gueule, c’était tout ce qui m’importait à cet instant précis. « Putain Joy, me prends pas pour un con ! ». Son regard était plus froid que d’ordinaire, tournant vers une couleur grisâtre assez fascinante. Il me fixait, sans ciller et je frissonna quelque peu face à ce regard bien trop dur et froid pour appartenir à mon, si doux, petit ami. « Bon, d’accord, j’fais la gueule ! Et alors ? Tu vas me l’interdire peut-être ? ». Mes bras autours de ma poitrine se serrèrent un peu plus l’un contre l’autre alors que je fronçais les sourcils, ne détournant pas une seconde mon regard de celui de Ioannis. C’était un duel. A celui qui baisserait les yeux en premier, à celui qui lâcherait la garde avant l’autre. Mais j’étais bien trop fière pour perdre une telle bataille. Il était peut-être en colère, mais moi, je l’étais bien plus et je n’avais pas du tout peur de lui. J’avais conscience d’agir comme une vrai gamine pourrie gâtée, mais pour une fois, je voulais vraiment marquer le coup et ne pas laisser passer un truc pareil. « Alors c’est comme ça, tu fais la gueule, on n’en parle pas et on reste comme des cons à s’ignorer ? ». Il n’avait pas tord, c’était stupide d’agir de la sorte… mais je ne pouvais me résoudre à lui balancer à la tronche ce qui n’allait pas… même s’il s’en doutait très certainement… il n’était pas bête après tout et il avait enduré cette soirée, tout comme moi. Ne trouvant rien à répondre et sentant mon cœur se serrer au creux de ma poitrine, je détournais la tête, laissant aller mon regard vers la vitre à ma droite. La voiture était stationnée sur le bas côté de la route, assez maladroitement, je dois dire. Des champs à perte de vue nous entouraient et la noirceur de la nuit donnait une atmosphère assez lugubre à l’instant. Mais peu importait où nous nous trouvions, plus les secondes passaient et plus je sentais mes yeux se noyer dans des larmes prêtes à couler. Mais je refusais de m’abandonner ainsi à mon chagrin… cependant, je ne semblais pas assez fort et une larme coula, suivit par quelques autres, alors que mon corps fut bientôt secoué de sanglots. Immédiatement, je sentis du mouvement du côté de Ioannis. Je le devinais détacher sa ceinture de sécurité et bouger dans son siège, afin de s’approcher de moi. Je sentis alors sa main se poser sur ma cuisse, et son bras entourer mes épaules, afin de me ramener tout contre son torse. Je résistais quelques secondes, avant d’abandonner devant la force de sa détermination et de me laissée aller contre son torse, le visage enfoui au creux de son cou, pleurant à chaude larmes. Ioannis caressait doucement mes cheveux, embrassant quelques fois la parcelle de peau derrière mon oreille, afin de me calmer au plus vite. Il détestait me voir pleurer, il me l’avait confié un jour, alors que nous regardions une fois de plus Titanic et que je chialais, comme toujours, lorsque Jack meurt… Mais cette fois, c’était une peine venue du fond du cœur et non à cause de l’émotion tragique due à un film extrêmement bien rodé. Cette fois, c’était la réalité et elle faisait vraiment très mal. « Ils…ils me détestent… ». Réussissais-je à dire, entre deux sanglots, la voix baignée de larme. Je sentis la poigne de Ioannis se resserrer autours de moi, avant que sa voix ne recouvre la musique jouant en arrière fond : « C’est pas vrai… ». Je fermais les yeux fortement, tentant de me ménager et d’arrêter de pleurer… en vain. « Tes parents me détestent Ioannis… ils me détestent vraiment… ». Et voilà, c’était la raison exacte de mon chagrin. Les parents du garçon que j’aimais me détestaient. Nous venions de passer la nuit chez eux, à dîner tranquillement et dès le départ, ça n’avait pas du tout collé. A peine avions-nous mis un pied dans la maison Hartley que la mère m’avait observé des pieds à la tête, grimaçant légèrement à la vue de mon physique. Son père ne m’avait même pas salué et la soirée s’était passée à l’image de cette première rencontre : froide, pleine de sous-entendus et incroyablement vexante. Son père m’avait clairement fait comprendre que ma famille était bonne à enfermer et sa mère, que j’avais vingt bons kilos à perdre. Je n’avais pas honte de ma famille. J’avais conscience que nous étions un peu hors normes, mais pour la première fois de ma vie, je ne m’étais pas sentie à la hauteur. Pas parce que je n’était pas un modèle de beauté pour la mère Hartley, ou d’intelligence pour son mari… mais parce que j’étais différente, à cause de mes parents, de mes origines et de mon style de vie… Et à cet instant, je me sentais nulle, incroyablement pitoyable.
Ioannis resta silencieux quelques minutes, son souffle chaud caressant la peau de ma nuque, alors que ses mains étaient serrées autours de mon buste et dans mes cheveux. J’avais raison et il le savait. Ça ne servait à rien de mentir. « J’suis désolée… désolée de pas être à la hauteur. ». A peine une demie seconde après que j’ai dit cela, Ioannis se décollait légèrement de moi, passant ses mains autours de mon visage afin que son regard rencontre le mien. Ses gestes étaient doux, mais son visage laissait paraitre une dureté que je n’avais vu que très rarement chez lui. Son regard tirait toujours vers le gris et sa mâchoire était serrée. Ses sourcils étaient froncés, laissant clairement comprendre qu’il était embêté par ce que je venais de dire. « Ne dis plus jamais ça. ». Il avait parlé lentement, laissant clairement comprendre qu’il ne voulait, en effet, plus jamais entendre une telle chose sortir de ma bouche. « Mais c’est vrai ! J’suis pas faite pour toi… j’suis pas assez bien ! J’suis bizarre, j’le sais que j’le suis ! Et ça m’a jamais dérangé avant, parce que j’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi… Tes parents sont clairement contre le fait qu’on emménage ensemble… pas parce qu’on est jeunes, mais parce qu’on est trop différents ! ». Désormais, Ioannis était en colère, cela ne laissait planer aucun doute, mais je savais qu’il tentait de contenir son énervement. Parce que j’étais là, aux creux de ses bras, fragile comme une poupée de porcelaine. Mais j’le connaissais bien, presque par cœur et je savais qu’il était prêt à exploser. « Mes parents sont cons. Et on s’en fou de ce qu’ils pensent. Je t’aime, j’veux vivre avec toi. On en a les moyens, j’vois pas pourquoi on annulerait tous nos projets, juste parce que tu ne corresponds pas à l’image de la petite amie bourgeoise et coincée qu’ils ont toujours rêvé d’avoir pour belle fille. ». Il était têtu… presque autant que moi et même si ses mots me faisaient plaisir, je ne pouvais pas me résoudre à l’écouter et laisser passer tous les pics que ses parents m’avaient balancé à la figure durant toute la soirée. « Mais/ ». Pas le temps de continuer que les lèvres de Ioannis se posaient brusquement sur les miennes. Je restais stoïque, dans un premier temps, surprise par son geste, alors que sa poigne autours de mon visage se faisait toujours aussi ferme. Puis, envahie par une sensation de bien être assez familière lorsque le bouclé était à mes côtés, je fermais les yeux, mouvant doucement mes lèvres aux siennes, alors que je le sentais presque sourire contre ma bouche. « Je t’aime, c’est tout ce qui compte. ». Murmura-t-il contre mes lèvres alors que je passais mes mains autours de son cou, me rapprochant un peu plus du garçon dont j’étais folle amoureuse.
Et il avait raison. On s’aimait et c’était tout ce qui comptait, tout ce qui importait. Et bien évidemment, on emménagea ensemble, vivant notre amour avec passion… Ioannis me demanda même en mariage et malgré mes dix-sept petits printemps, cela me semblait assez évident. Non, nous ne comptions pas nous marier dans les mois qui allaient suivre, bien évidemment… mais la bague qui ornait désormais mon doigt était plus une promesse que le signe d’un événement à venir. Cette bague représentait la promesse qu’on se marierait un jour. Pas dans les jours qui allaient suivre, mais quand nous serons prêts. C’était la promesse qu’il m’aimerait pour toujours et réciproquement… Et à cette époque, j’étais la plus heureuse des filles sur cette planète.

« OOOOLE BAILLE MAAAILLESEEEEEEILFEUH ». A moitié allongée sur l’énorme canapé du salon du rez-de-chaussée, j’étais littéralement en train de me laisser crever dans le noir. Seule la lumière de l’écran plasma face à moi me permettait de ne pas être dans le noir complet. Les grands rideaux étaient tirés et malgré le soleil dehors, je ne voulais pas sortir. Je voulais passer ma vie sur ce canapé, à bouffer des chips avec de la glace au chocolat et regarder Bridget Jones tout en chantant du Céline Dion à fond les ballons. Rien à foutre que je chante comme un porc qu’on égorge, j’avais besoin d’extérioriser ma peine… et croyez-moi, elle était grande. « DONTE OUANNNAAA BIIIII ». « OH TAGUEULE !!!! ». Il fallait si attendre ! Malgré l’énorme manoir dans lequel nous vivions, les murs n’étaient apparemment pas assez épais pour camoufler mes chants de loutre en mal d’amour. Soudainement, je sentis une masse s’écraser sur moi, par-dessus la couverture qui recouvrait l’intégralité de mon corps et sortais doucement la tête, afin d’observer Jil, qui venait de me sauter dessus. « JE VEUX MOURIIIIIIIIIIIIIIR ! ». Une semaine. Cela faisait une semaine que je chialais comme une merde. Une semaine que j’avais reçu cette lettre de Ioannis. Lettre dans laquelle il m’avouait qu’il ne m’aimait plus et qu’il ne voulait plus jamais me revoir… Je ne comprenais pas vraiment, mais sa mère m’avait dit qu’il n’était pas encore assez fort pour me confronter… Il avait eu un accident assez grave, après tout, et était resté dans le coma quelques jours… Et j’avais été à son chevet… jusqu’au moment où il s’était réveillé et que j’avais reçu cette lettre qui avait brisé mes fiançailles et mon cœur. « Dis pas ça ! ». « SIIII/AILLE !!! ». Jil venait de me foutre une baffe, et pas des plus délicates, si vous voulez savoir. Je posais alors une main sur ma joue meurtrie et fronçais les sourcils, fixant ma sœur d’un air agacé. « Si tu répètes que tu veux mourir, j’te tue, compris ? ». Je clignais des yeux plusieurs fois. D’ordinaire, elle n’était pas si violente, mais j’crois qu’elle en avait marre de m’entendre me plaindre et me lamenter sur mon sors depuis quelques jours… Et puis elle aussi vivait une peine de cœur. Nash s’était barré en lui envoyant un simple sms… Au final, chez les Hills-Everdeen, on a vraiment un karma de merde. Ajoutez à cela, ma mère qui se barre à l’autre bout de la planète avec un groupe d’eskimos hippies mangeurs de chenilles et vous obtenez une Joy tout raplapla qui se passe en boucle le journal de Bridget Jones, juste pour pouvoir chanter du Céline Dion en cœur avec l’actrice principale. « J’ai vu sa mère hier… ». Je baissais les yeux, sentant les larmes monter un peu plus. Je sentais le regard de Jil fixé sur moi. « Elle est passée à l’appart… ». Appartement que je partageais avec Ioannis… et qui ne semblait plus vraiment m’appartenir. De toute façon, je ne voulais pas vraiment y remettre les pieds. Ce lieu contenait beaucoup trop de souvenirs heureux avec le garçon que j’aimais et la blessure était encore bien trop récente pour m’amuser à ressasser un passé aussi heureux. Jil m’écoutait, sans rien dire, m’incitant silencieusement à continuer. « Ses yeux pétillaient… j’crois que je l’ai jamais vu aussi heureuse ! ». Je lâchais un rire assez sarcastique. Les parents de Ioannis ne m’aimaient pas. Ils n’aimaient pas ma famille, ma sœur, mes amies ou même mon mode de vie. Si j’avais eu un chien ils l’auraient méprisé à coup sûr ! « Elle a récupéré toutes les affaires de Ioa’… j’ai plus rien… plus rien de lui… ». Et ça faisait mal. C’était comme s’il n’avait jamais existé. Comme si son seul souvenir résidait dans mon cœur. Son compte facebook était fermé, tous les souvenirs concrets envolés. « Et elle m’a même demandé de lui donner la bague… Apparemment Ioannis voulait la récupérer… ». Et c’en était trop, je sentais mes joues s’inonder à vue d’œil. Ce n’était pas tant le fait qu’on m’enlève un bien qui me rendait triste, c’était le fait qu’on m’enlève tout ce que cette bague représentait. L’amour, une promesse, un futur heureux… Je n’avais plus rien de cela, plus rien du tout et apparemment, la mère de Ioannis s’évertuait à faire disparaître son fils de ma vie. J’aurais aimé avoir la force de le confronter, me pointer chez lui et lui dire à quel point je le détestais de m’avoir quitté sans même prendre la peine de me le dire en face… mais je savais qu’il était mal en point et qu’il ressortait d’un grave accident de voiture… Alors, malgré toute ma rancœur et mon organe vital déchiré en deux, je n’en faisais rien. « Bon, tu sais quoi Joy… On va s’en sortir… toutes les deux, parce que c’est pas une petite peine de coeur quui va nous achever… Fuck les garçons, Fuck l’amour ! On est plus fortes que ça merde ! ». Et elle avait raison. Malgré la tristesse et tout ce qui s’en suivait, Jil et moi étions plus fortes et nous étions bien déterminées à nous en sortir.