Quand il était petit, Maël rêvait de sa mère. Il voyait une femme de dos, aux beaux cheveux très longs, qui marchait lentement. Le garçon essayait de la rejoindre et n’y parvenait jamais, il s’essoufflait rapidement et ce souvenir s’évanouissait progressivement de son esprit. Ce cauchemar, il continue de le faire, chaque année, à la même date : le 21 janvier. Maël est né d’une mère qui l’a abandonnée à la naissance, sans laisser d’identité. L’accouchement sous X est une ancienne procédure, instituée sous Pétain, par laquelle une mère accouchant en France choisit d’abandonner son nouveau-né, pour que celui-ci ne puisse jamais savoir qui l’a mis au monde. Il n’a eu pour seule explication : « il y a des gens qui n’ont pas de nourriture à donner à leurs enfants, alors ils les posent par terre et c’est d’autres gens qui viennent les chercher. ». C’est ainsi que fut bercée son enfance. En principe, le droit français prévoit, sous de strictes conditions, la possibilité de lever le secret. Néanmoins, le jeune homme voue une telle haine à la femme qui l’a abandonnée, comme au père qui ne l’a pas reconnu, qu’il ne souhaitait pour rien au monde les retrouver. Et parfois, il perd pied « On me parle de mes parents, et je me demande sans y penser : « Lesquels ? » ». C’est idiot, il ne sait même pas qui sont les premiers. Il a vécu de famille d’accueil en foyer. La première famille à l’avoir accueilli était des gens « biens », médecins, de droite, catholiques. Ascendance noble russe d’un côté, famille de résistants de l’autre. Il pourrait en parler des heures, Pouchkine, les icônes, le maquis. Quand il est arrivé chez eux, le garçon a eu droit à une éducation respectable et de nombreux avantages. Pommettes slaves, peau blanche, qui doutait du sang coulant dans son corps ? À l’école, personne ne le croyait, quand il disait être dans une famille d’accueil. « Et pourtant, les souvenirs que j’ai de mon enfance, c’est un long tunnel noir, une solitude infinie. ». Un jour, aux alentours de ses 10 ans, une dame vêtue de noir est venue le chercher pour l’emmener « quelque part ». Chouette avait-il pensé sur le coup. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’on s’apprêtait à le retirer définitivement de sa famille quasi-adoptive. Il ne les a jamais revus. Envolé la famille rêvée, envolé l’espoir d’être choyé. Pendant plusieurs années interminables, il est resté dans un foyer parisien, entouré d’énergumènes qu’il ne souhaitait pas approcher. Il avait beau être nourri, logé, habillé, scolarisé et assisté par toutes sortes de spécialistes, cet endroit lui était néfaste. De temps en temps, on l’emmenait voir des gens qui « désiraient prendre soin de lui ». Il restait chez eux un, deux, voire trois mois avant d’être reconduit vers sa nouvelle maison : le foyer. Il ne supportait pas qu’on se fasse de l’argent sur son dos. Ces pseudos familles d’accueil ne lui apportaient rien de bien si ce n’est la haine du système social. Aucune d’entre elles ne pouvaient égaler sa première famille. Et même s’il n’a jamais su pourquoi il a dû les quitter, il reste persuader que ce n’était pas de leur faute. Il est devenu une sorte de vilain petit canard, celui dont personne ne veut, celui que tout le monde laisse de côté. De ce fait, il s’est longtemps débrouillé seul. Aux abords de l’adolescence, il a commencé à sortir avec n’importe qui, fuguant tellement souvent qu’on en oubliait son existence. Ainsi livré à lui-même, il a enchainé conneries, fête, drogue tout au long de son adolescence. Malgré ses frasques en tout genre, il a rencontré quelqu’un, une fille, mystérieuse et fragile. Tantôt amis, tantôt ennemis, ils se sont épaulés quelques temps, entremêlant passion, haine, obscurité et ambiguïté. Mais tout dans sa vie est éphémère ; La majorité pointa le bout de son nez, synonyme de liberté, autonomie, latitude. Il quitta ces lieux qu’ils détestaient tant, il quitta cette fille, il fuyait lâchement. Sa quête indécise fut semée d’embûches. Il tomba sur les mauvaises personnes, il fit de mauvaises choses, il devint une vilaine personne. Un cambriolage, et le voilà rattraper par la justice, cette même justice qu’il avait tenté d’éviter. 6 mois de prison ferme l’attendent alors. Il prend conscience de ce gouffre intérieur. Il aurait pu espérer que la délinquance l’en éloignerait, la vérité, c’est qu’elle l’avait sans cesse confrontée à cet abîme. Pendant ces six mois, il a réfléchi, il a pris conscience que l’abandon est son histoire et qu’elle ne sera jamais réglée, tout comme sa méfiance animale envers les institutions françaises. C’est un homme philosophé qui sortit de cette cage aux barreaux visibles.





Désireux de prendre un nouvel envol, Maël décida à sa sortie de prison de quitter la France, ce pays qui l’avait tant fait souffrir. Mais où pouvait-il bien aller ? La Suisse ? Trop proche. L’Allemagne ? De même. Il voulait partir à l’aventure, découvrir de nouvelles contrées et s’ouvrir au monde. Son choix se porta alors sur la première puissance mondiale : Les Etats-Unis d’Amérique. Il fut en quelque sorte bercé par le célèbre « American dream » et le voilà partit pour un autre continent. Il voulait reprendre sa vie en main, et cela impliquait de faire table rase sur son passé. Il n’emporta que le strict minimum, c’est-à-dire un bagage à main et quelques vêtements de rechange. Il se faisait suffisamment confiance pour réussir à se débrouiller une fois arrivée à Chicago. Car oui, c’est dans la troisième plus grande ville des Etats-Unis qu’il avait choisi d’atterrir. On dit souvent que la première intuition est la bonne… Son voyage se déroula sans encombre, même si l’avion le terrorisait plus qu’il ne voulait l’admettre. Maintenant qu’il était arrivé à bon port, le plus dur était à venir. Il utilisa ses quelques économies pour se payer une chambre d’hôtel et partit de zéro. Les premières semaines furent assez compliquées en raison de l’anglais, que le jeune homme pratiquait à peine. Ses quelques notions basiques ne lui permettaient pas de communiquer comme il le souhaitait. Heureusement, son sens de l’adaptation prouva qu’il ne faut jamais abandonner. Au fur et à mesure, il rencontra des gens, toutes sortes de gens. Malgré son tempérament, il réussit à se faire des amis ou de simples connaissances un peu partout. L’ami d’un ami d’un ami lui dégotta même un boulot. Ses talents d’orateur lui ont permis de se faire recruter en tant que chargé de communication. Malgré un emploi stable, Maël eut beaucoup de mal à se trouver un logement fixe. Il vagabondait entre les hôtels, les chambres d’amis..jusqu’à ce que toutes ses ressources soient épuisées. Une nouvelle fois, il retrouva seul et incompris. Petit à petit, il sentait cette once d’espoir le quitter et le ramener vers les profondeurs de son être. Un soir, tandis qu’il errait comme un animal meurtri dans les rues sombres de la ville, un visage familier attira son attention. Magdalene. Cette fameuse fille longtemps disparu. Combien de chance avait-il de la retrouver ? Ici ? Aucune. Que faisait-il dans les environs ? Il n’en avait que faire. Ce qu’il savait, c’est que cette âme charitable était prête à lui offrir logis et confort. En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, les deux jeunes gens devinrent colocataires, pour le meilleur et pour le pire. Le destin a décidé de les réunir à nouveau, qu’en sera-t-il de leur étrange relation ? Affaire à suivre…