Tout avait plutôt bien commencé, j’avais trouvé ce petit appartement dans Southside sans l’aide de personne et non loin de celui-ci un restaurant m’avait engagé en tant que serveuse mais bien vite mon salaire ne suffisait plus à payer les factures ainsi que les soirées qui s’accumulaient, le loyer ne cessait de passer après l’alcool et la drogue. Il me fallait trouver une solution pour ne pas me retrouver à la rue et surtout continuer à manger. Alors que je me trouvais dans une de ces soirées branchées, dans lesquelles je ne connaissais personne, une jeune femme attira mon attention. Elle n’avait pas l’air de l’une de ces prostituées que je croisais souvent en rentrant chez moi tard le soir, ou tôt le matin selon le point de vue. Et pourtant, je jurais avoir entendu parlé d’hommes et d’argent. Me tenant debout contre le mur de l’immeuble, tirant sur ma cigarette, je tendis l’oreille. J’ai bien travaillé ce soir, celui-là m’a rapporté cinq-cents dollars, t’imagines. Et il a pris mon numéro, au cas-où. Sans gêne, je m’approchais d’elles qui me regardaient d’un air méfiant. Qu’est-ce que tu veux gamine ? Moi ? Une gamine. Blessée dans ma fierté, je répondis sûre de moi. Je cherche du travail. Les deux femmes échangèrent un regard étonné et amusé à la fois. Et qu’est-ce qui te fais dire qu’on a du travail pour toi ? Croisant les bras sur ma poitrine et prenant mon air le plus sérieux, je répondis en haussant un sourcil. Je suis mignonne, j’ai du caractère, de l’aplomb et je sais séduire un homme. Je savais que je m’engageais dans une affaire pas nette, n’ayant même pas la majorité mais tout ce que je voulais, c’était me faire de l’argent facilement. Et si en plus je pouvais le faire en m’amusant, il n’y avait pas à réfléchir. Mon rêve d’ouvrir ma galerie ? On verra plus tard. Un numéro peut changer une vie et celui de cette femme allait changer la mienne. Escort Girl, voilà le nom de mon nouvel emploi. Tenir compagnie à des hommes plus ou moins fortunés, allant parfois jusqu’à utiliser mon corps pour les satisfaire complètement. Ma vie était réduite à ça, satisfaire des hommes, quand on y pense c’est ironique, moi qui rêvais de changement en venant à Chicago, je n’avais pas vraiment changé, restant la petite gamine qui utilise son corps pour obtenir ce qu'elle veut. S’il y a bien une chose que j’ai comprise c’est que les rêves ne réalisent jamais, du moins les miens.

Et pourtant, la roue allait tourner. Deux années passées à écouter des hommes se plaindre de leur femme, se plaindre de leur métier, de leurs enfants. J’en avais vu passer des hommes, certains cherchaient juste une oreille attentive, et dans ce cas, je commandais cocktail sur cocktail, préférant être bourrée que d’écouter leurs histoires inintéressantes de mon point de vue. D’autres attendaient bien plus, et dans ces cas-là, j’étais bien plus réceptive, sortant le grand jeu, visant surtout le pourboire alléchant. Passant mes soirées aux bras d’hommes riches, dans des soirées mondaines, des galas de charités dont je me foutais royalement, des soirées en boîte de nuit à danser lascivement contre des hommes inconnus, à boire des nombres incalculables de cocktails, à prendre des pilules dont je ne connaissais même pas les effets. Même ma mère et mon frère n’aurait pas pu me reconnaître tant ma silhouette était devenue décharnée, mon visage s’était creusée et des cernes avaient pris place sous mes yeux. Je passais mes journées à dormir ou à faire du shopping, n'accordant plus une seule pensée à ma passion. J’avais délaissé mon premier amour, la photographie au profit de l’alcool, le sexe et la drogue. Et s’il ne m’avait pas trouvé, je serais sûrement morte aujourd’hui, violée, abusée et au fond d’une cave. C’est triste à dire, mais c’est la réalité. Andy. Voilà le prénom de mon héros. L’homme à qui je dois la vie, et sûrement la plupart de mes sourires aujourd’hui. Alors que j’étais de repos ce vendredi-là, ma patronne me téléphona pour me prévenir que je remplaçais Posie, ma collègue et amie. C’était un client important, on ne pouvait pas le laisser tomber. J’avais imprimé les mots-clés et en me pressant, je me préparais pour cette soirée qui, je ne le savais pas encore, allait changer ma vie. En le voyant arrivé, je ne pus m’empêcher de remarquer qu’il était absolument divin. Mademoiselle Hemfield ? C’est bien moi. Enchanté, Andy Gauthier, répondit-il en m’embrassant la main tout en maintenant son regard plongé dans le mien. Je ne savais pas s’il faisait ça avec toutes les filles qu’il engageait, mais pour ma part, je fondis littéralement. Je m’excusais alors de l’absence de ma collègue, ce n’était pas vraiment la première fois que j’étais appelé pour un remplacement, alors je savais comment gérer les choses d’autant plus quand les clients ont leurs habitudes. Il ne me restait à présent plus qu’à faire mon travail mais après les derniers mots échangés lors de cette soirée, je sentis qu’il ne serait pas un client ordinaire, qu’il ne serait pas n’importe quel homme. Mademoiselle Hemfield ? Oui, monsieur Gauthier ? Je suis ravie que Posie n’ait pas pu venir ce soir. Et pour la première fois depuis, je ne sais même plus quand, je sentis le rose me monter aux joues. Cet homme était exceptionnel. C’était la première fois que je sentais mon cœur s’accélérer à cause des paroles prononcées par un homme.

Aujourd’hui, je vis avec cet homme. Après quelques rendez-vous successifs, j’étais devenue sa protégée, remplaçant Posie. Mais notre relation ne se limita pas à un consentement professionnel, puisque Andy désirait plus. Il ne supportait plus l’idée que je puisse avoir des rendez-vous avec d’autres hommes. Pour moi, la situation devenait incompatible. Il voulait que je sois la femme d’un seul homme, mais je ne pouvais pas quitter mon emploi, je ne voulais pas redevenir cette jeune femme perdue, sans le sou qui ne pouvait même pas se payer trois repas par jour. Andy, lui, trouva la solution. Zoella, c’est simple, tu emménages avec moi. Je ne veux plus que tu vois ces autres hommes. Mais.. Qu’est-ce que je vis faire ? Tu ne veux quand même pas qu’on se marie ? Je restais bouche bée, attendant une réponse de sa part. Andy esquissa un sourire moqueur. Non, Zoella, je ne vais pas te demander autant d’implication, mais il y aura quand même des règles. Dis-moi. Tu vivras chez moi, je compte te voir tous les soirs à la maison. Tu ne verras aucun autre homme, tu es à moi, dit-il d’un ton possessif, m’attrapant par la taille pour m’attirer à lui, de sorte que nos nez puissent se toucher. Mais de mon côté, je continuerais à sortir et voir d’autres femmes. Mon cœur eut un raté. Je reculais d’un pas, blessée dans mon orgueil, et le fixait pour voir s’il riait ou s’il était sérieux. Comment ça, voir d’autres femmes ? Écoute, je ne peux pas être l’homme d’une seule femme, ça n’a jamais été dans ma conception. Alors, tu vivras avec moi, je t’offrirais tout ce que tu désires, parce que tu le mérites, mais pas de jalousie, pas d’engagement. Et comme une conne, j’acceptais. J’étais sûre de pouvoir le voir tous les jours, d’avoir tout ce que j’ai toujours désiré. Enfin, je croyais. Certes, je possède une garde-robe à faire baver toutes les femmes, peut-être même plus grande que celle de Carrie Bradshaw, je vis dans un appartement immense et luxueux, je pars en voyage tous les mois, je possède ma chambre et ma propre pièce pour m'adonner à ma passion, le tout sans travailler. Mais il me manque l’essentiel, l’amour de celui pour lequel j’éprouve des sentiments, et ça.. C’est la chose la plus horrible qui m’ait été donné de ressentir, après le départ de mon père.